

Décès de Victor Ginsburgh, économiste et humaniste
Martine Mergeay
La Libre Belgique - 10 octobre 2025
Scientifique de niveau international, il était un proche du monde musical
Victor Ginsburgh est décédé le 6 octobre dernier. Il laisse une épouse, deux enfants musiciens et quatre petits-enfants.
Né au Rwanda-Urundi en 1939, de mère autrichienne et de père russe (ce dernier avait obtenu ses diplômes d’ingénieur à Londres et à Paris) il partit en Europe en 1957 pour y suivre des études commerciales et obtenir un doctorat en économie, « pour le meilleur et non pour le pire ».
A partir de là, son parcours professionnel est impressionnant : professeur d’économie à l’Université Libre de Bruxelles, co-directeur du Centre Européen de Recherche en Économie et Statistique, membre du Centre de Recherche d'Économétrie de l’Université catholique de Louvain, il fut invité aux universités de Yale et de Chicago, ainsi qu’à Marseille, Paris, Strasbourg et Alexandrie, tout un monde scientifique où il ne cessa de se distinguer.
Il signa une douzaine de livres (notamment pour MIT Press, en 1997, et Princeton University Press, en 2011) et de plus de 180 articles portant sur l’économie appliquée et théorique, et, plus récemment, sur l’économie des langues, ainsi que sur l’histoire et la philosophie de l’art.
Il fut aussi une figure dans le monde musical pour avoir découvert une constante statistique dans le palmarès final du Concours Reine Elisabeth : les derniers à passer y étaient les premiers à gagner. Une étude qui fut prise très au sérieux par la direction du Concours et qui entraîna des modifications dans le règlement de l’octroi des points. Il est vrai que l’étude provenait d’un amoureux de la musique, lui-même père de deux musiciens réputés.
D’origine juive, très engagé politiquement – et ouvertement critique à l’égard du pouvoir israélien -, Victor Ginsburgh a contribué à de nombreux articles dans la presse belge, notamment dans La Libre Belgique. Ses échanges courageux avec Pierre Mertens au sujet de Ken Loach (2018) sont restés dans les mémoires.
---
Disparition de Victor Ginsburgh, pionnier de l'économie de la culture
Serge Vandaele
L'économiste Victor Ginsburgh s'est éteint le 6 octobre dernier. Avec lui disparaît une figure singulière du monde académique belge, un penseur qui a su faire dialoguer la rigueur des chiffres avec la sensibilité de l'art.
Né en 1939 au Rwanda-Urundi, d'une mère autrichienne juive et d'un père russe ingénieur, Victor Ginsburgh a grandi entre plusieurs mondes. Arrivé en Belgique à la fin des années 1950, il entame des études à l'ULB et y accumule les diplômes: ingénieur commercial, master en économétrie, doctorat en sciences économiques. Un parcours brillant qui annonce une carrière exceptionnelle.
Professeur à l'ULB dès 1975, codirecteur du centre de recherche ECARES, il a aussi enseigné à Yale, Chicago, Paris, Marseille, Strasbourg, Alexandrie. Mais Victor Ginsburgh refusait de s'enfermer dans une tour d'ivoire. Il multipliait les ponts entre l'économie et la vie: l'art, la musique, le vin, les langues deviennent des objets d'étude aussi légitimes que l'économie ou la finance.
Auteur prolifique, il a signé une douzaine d'ouvrages et plus de 200 articles dans les revues les plus prestigieuses. Avec David Throsby, il publie le monumental "Handbook of the Economics of Art and Culture". Écrit avec Shlomo Weber, "How Many Languages Do We Need?" devient une référence sur la diversité linguistique. Ces travaux ont fait de lui l'un des pionniers de l'économie de la culture, un champ qu'il contribua à légitimer.
Sa passion pour la musique le conduisit dans les coulisses du Concours Reine Elisabeth. Il y détecta une anomalie statistique: les candidats jouant en fin de parcours sont systématiquement mieux notés. L'étude, d'abord accueillie avec scepticisme, poussa finalement les organisateurs à revoir leur système. Cette anecdote résume bien sa démarche: observer le monde avec minutie, y débusquer les biais cachés, toujours avec une pointe d'ironie.
Professeur passionné, débatteur intrépide
Mais Victor Ginsburgh n'était pas qu'un chercheur. C'était aussi un intellectuel libre, prompt à bousculer les certitudes. Dans L'Écho, où il a signé de nombreuses chroniques, il a pris des positions tranchées sur le Proche-Orient, l'éducation, l'évolution du capitalisme ou encore la responsabilité morale des intellectuels. Ces interventions, toujours argumentées, témoignaient d'une exigence de justice et d'une indépendance d'esprit sans compromis.
Érudit, souvent sardonique et lecteur compulsif de "quality papers", il pouvait être provocateur, mais jamais indifférent. Ceux qui l'ont connu se souviennent d'un professeur passionné, d'un débatteur intrépide, d'un esprit dont la rigueur n'excluait ni l'émotion ni l'élégance.
Victor Ginsburgh laisse derrière lui son épouse, deux enfants et quatre petits-enfants. Et une œuvre considérable qui continuera certainement d'inspirer.
---
Victor Alexandre Ginsburgh (1939-2025)
American Association of Wine Economics
It is with great sadness that we note the passing of Victor Alexandre Ginsburgh, co-founding editor of the Journal of Wine Economics and Vice President of the American Association of Wine Economists.
Victor was an economist of remarkable breadth and originality, whose work spanned the economics of culture, language, taste, identity, and wine. A long-standing professor at the Université libre de Bruxelles (ULB) and co-director of ECARES, he was a prolific scholar, a sharp and generous colleague, and a quietly influential force across several subfields of economics—most notably cultural economics.
Born in 1939 in Rwanda-Urundi to a father from Vitebsk (Belarus) and a mother from Vienna (Austria), Ginsburgh was educated in Belgium and earned his Ingénieur commercial degree (MBA, 1961), M.A. in Econometrics (1964), and Ph.D. in Economics (1972) at the Université libre de Bruxelles. He joined the ULB faculty shortly thereafter, where he remained throughout his career, mentoring generations of students and contributing significantly to the university’s intellectual life. He also held visiting positions at Yale University, the University of Chicago, the University of Virginia, Christie’s London, and in France (Aix-Marseille University).
Ginsburgh made foundational contributions to cultural economics. His Handbook of the Economics of Art and Culture (Elsevier, 2006), co-edited with David Throsby, remains a touchstone in the field. His later book, Symbolic Values of Art and Culture (Princeton University Press, 2011), co-authored with Oriane S. Guerts, examined how symbolic meaning interacts with economic valuation, particularly in the context of artworks and aesthetic judgment. Few economists moved so fluidly between the quantitative and the qualitative, combining econometric rigor with a humanist’s curiosity.
Multilingual himself (he spoke French, German, and English fluently), his interest in identity and multilingualism led him to co-author How Many Languages Do We Need? The Economics of Linguistic Diversity (Princeton University Press, 2011) with Shlomo Weber. The book explored language policy, equity, and efficiency within multilingual societies, with a particular focus on the European Union. His work on linguistic disenfranchisement was pioneering, offering tools to assess how language choices affect participation, fairness, and inclusion.
His journal publications reflect a similar eclecticism and depth. He published in leading journals such as the American Economic Review, Economic Journal, Journal of Political Economy, Journal of Economic Literature, European Economic Review, Journal of Economic Perspectives, and Journal of Wine Economics, among many others. His articles covered topics as diverse as voting rules in collective decision-making, hedonic pricing of paintings, outcomes of classical piano competitions, the construction of inequality indices, the measurement of cultural and ethnic diversity, and the role of terroir in Bordeaux winemaking.
Aside from being the managing editor of AAWE’s Working Papers for almost 20 years, in the Journal of Wine Economics, Victor co-authored several influential papers, including:
-
“Natural Endowments, Production Technologies and the Quality of Wines in Bordeaux: Does Terroir Matter?” (with Olivier Gergaud, 2010), which assessed how much of wine quality—measured by expert assessments and auction prices—can be explained by terroir versus technological choices. Their results suggested that technology plays a more significant role than natural endowment.
-
“Shapley Ranking of Wines” (with Israël Zang, 2012), which proposed a novel ranking method based on cooperative game theory, allowing consensus rankings with less burden on judges.
-
“Red Wines of Médoc: What Is Wine Tasting Worth?” (with Muriel and Andras Monzak, 2013), showing that technology and weather explain two-thirds of wine price variance, rising to 85% when reputation effects (from the 1855 classification) are included.
-
“Wine Ratings: Seeking a Consensus among Tasters via Normalization, Approval, and Aggregation” (with Olivier Gergaud and Juan D. Moreno-Ternero, 2021), which developed a framework for achieving consensus among wine tasters, inspired by political science and game theory, and applied it to the Judgment of Paris and 2018 Bordeaux en primeur ratings.
-
“Tracking the Wines of the Judgment of Paris over Time: The Case of Stag’s Leap Wine Cellars’ Cabernet Sauvignon” (with Olivier Gergaud and Juan D. Moreno-Ternero, 2022), which followed the evolution of critical scores from 1968 to 2021, finding that the 1973 Stag’s Leap vintage—though the 1976 winner—lagged behind its peers in subsequent years.
Ginsburgh also reviewed books for the Journal of Wine Economics, including Kolleen M. Guy’s When Champagne Became French and Roger Scruton’s I Drink Therefore I Am: A Philosopher’s Guide to Wine.
“I drink, therefore I am” could well have been Victor’s own motto—he was a deep thinker, a cultured human being, and a dear friend to many. He is survived by his wife Gilberte (Gigi), his son Stéphane, his daughter Emanuelle, and several grand-children.
As Stéphane wrote to us,
“Our dear Victor left us.
Ich weiss nicht, was soll es bedeuten, Dass ich so traurig bin;
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.
Heinrich Heine”
The AAWE and its members will greatly miss him. He will not be forgotten.
The Editors
---
Pierre Pestieau
Cela fait près de quinze ans qu'en binôme avec Victor, nous partagions avec vous nos coups de cœur et nos coups de gueule à travers notre Bingbang Blog. Malheureusement, cette aventure s'achève aujourd'hui. Victor vient de nous quitter.
Si je devais résumer la personnalité de Victor, je le ferais par un triple C : Cordialité, Culture et Conviction.
Victor, pour ceux qui l'ont connu, était un homme empli d'empathie et de bienveillance envers tous ceux qui l'approchaient, même si son côté râleur masquait parfois cette chaleur humaine.
Victor était habité par la culture – non pas celle que l'on étale comme de la confiture, mais celle que l'on vit intensément. Il aimait la musique, la peinture, les arts et le vin. Il nous a fait partager ces passions à travers ses recherches sur l'économie de la culture.
Enfin, Victor était un homme de conviction. Cela se manifestait particulièrement à l'égard d'Israël, pays auquel il était profondément attaché et dont il se désolait de le voir perdre son âme.
Ce fut pour moi un privilège de l’avoir pour ami et je pense que ce le fut aussi pour vous tous de le lire au cours de ces dernières décennies.
---
In Memoriam: Prof. Emeritus Victor Ginsburgh
It is with great sadness that TIAMSA announces the passing of Professor Emeritus Victor Ginsburgh, economist at the Solvay Brussels School of Economics and Management, Université libre de Bruxelles.Widely recognized in the field of cultural economics, Victor Ginsburgh made pioneering contributions to the study of the economy of fine arts, classical music, languages, and wine. His trailblazing role in developing empirical art market research and quantitative art history cannot be overstated. At a time when economics and art history were seen as opposing disciplines, he successfully demonstrated how their methods, tools, and concepts could be combined to yield new insights—a contribution that continues to shape art market studies today.
Art market research is by nature interdisciplinary, often grappling with the complex and multifaceted nature of its object of study. Despite approaching the field as an economist, Victor Ginsburgh’s deep and genuine passion for the arts—he was himself a collector—gave his work exceptional depth. His research addressed key issues such as authenticity, expertise, quality, talent, market performance, and price formation. More importantly, he recognized the fundamental role of culture in society, and, through his mastery of economics and econometrics, he helped convince mainstream economics of the value and legitimacy of studying art markets. His work continues to inspire generations of scholars across economics, finance, art history, and cultural management.
Although not trained as an art historian, Ginsburgh remained remarkably modest about his contribution to the field. While the quantitative approaches typical of economics may sometimes appear reductive from an art-historical perspective, his work challenged the art community to think differently and to explore new ways of addressing what is often deemed uncontrollable. His introduction of quantitative analysis into art history holds a still underestimated potential for deepening our understanding of the art ecosystem, both past and present, as a complement to traditional methods.
Most of his publications appeared in disciplinary and interdisciplinary economics journals, which may explain why parts of his work may still be unfamiliar to some members of the art market community. TIAMSA wishes to take this opportunity to honor his legacy and to encourage readers to (re)discover his innovative and enduring contributions to the study of art and culture.
---
Annemie Schauss
Rectrice de l'Université libre de Bruxelles
C’est avec tristesse et émotion que l’Université libre de Bruxelles a appris le décès du Professeur émérite Victor Ginsburgh, économiste à la Solvay Brussels School of Economics and Management (SBS-EM), disparu ce 6 octobre 2025.
Victor Ginsburgh, diplomé en ingénieur commercial, en économétrie et docteur en sciences économiques, ce brillant chercheur, partout reconnu, a mené une carrière étonnante au sein de plusieurs centres de recherche de notre université – le DULBEA, le CEME puis ECARES – ; enseignant rigoureux et inspirant, il était un collègue estimé, un véritable esprit libre. Il a marqué plusieurs générations d’étudiants et de chercheurs. Bien des années après sa retraite en 2004, il est resté un académique actif et passionné.
Au-delà de ses travaux académiques, Victor Ginsburgh s’est également illustré comme vulgarisateur, notamment à travers le Big Bang Blog, qu’il animait avec son ami et collègue Pierre Pestieau. Ensemble, ils proposaient des réflexions accessibles, lucides et souvent teintées d’humour sur les grands enjeux économiques contemporains, prolongeant ainsi son engagement à faire dialoguer la science, la culture et la société.
À une époque où la culture et les humanités sont fragilisées, son œuvre nous rappelle combien la recherche sur les arts et la culture sont essentielles pour comprendre notre monde, défendre la diversité culturelle et penser des modèles plus durables.
J’adresse à sa famille, à ses proches et à ses collègues, mes pensées les plus sincères et ma profonde gratitude pour tout ce qu’il a apporté à notre communauté.
---
Catherine Dehon
Doyenne de la Solvay Business School
C’est avec une profonde tristesse que nous vous annonçons le décès de notre collègue Victor Ginsburgh survenu ce lundi 6 octobre 2025.
En tant que collègue, Victor a énormément apporté à notre Université et à notre Faculté, auparavant la Faculté SOCO (Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Economiques et Ecole de Commerce Solvay) et, depuis 2010, la SBS-EM.
Ingénieur commercial Solvay, Maître en économétrie et Docteur en Sciences Economiques de l’ULB, Victor était un chercheur très actif dans différents centres de recherche de la Faculté, successivement le DULBEA, le CEME (Centre d’Economie Mathématique et d’Econométrie) et ECARES. Bien qu’admis à la retraite en 2004, il a continué à faire de la recherche, et selon l’expression consacrée à l’ULB pour les Professeurs de plus de 70 ans, était toujours Professeur Visiteur chez nous.
Sa brillante et large carrière de recherche alla notamment de l’équilibre général à l’économie de la culture, avec de multiples contacts nationaux (tout particulièrement le CORE à l’UCLouvain) et internationaux (dans de nombreuses institutions) ainsi que des publications dans les meilleures revues spécialisées et chez les meilleurs éditeurs.
Victor a également excellé dans les autres missions académiques. Il fut un enseignant reconnu dans des matières aussi diverses que la comptabilité, la recherche opérationnelle, la macroéconomie, la microéconomie, et d’autres disciplines encore.
Président du Département de Sciences Economiques de la Faculté SOCO, il a notamment créé la filière "économie, option entreprises", précurseure de notre Master en Business Economics créé lors de la création de la SBS-EM.
Enfin, Victor a fait bénéficier beaucoup de personnes de ses vastes connaissances via notamment son Bing Bang Blog avec son ami Pierre Pestieau, économiste réputé de l’Université de Liège, et ses billets passionnés. Victor était aussi une personnalité passionnante et passionnée, qui a exercé beaucoup d’‘externalités positives’, comme disent les économistes, sur ses collègues et ses étudiants.
Nous reviendrons prochainement de manière plus détaillée sur sa carrière. D’ici là, souvenons-nous déjà de tout ce qu’il a fait pour nous et dont nous lui sommes très reconnaissants. Merci, Victor.
Toutes nos pensées vont à sa famille.
Catherine Dehon et l’équipe décanale